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QUESTION D'ACTU

Diagnostic Préimplantatoire

Les «bébés-médicament» en voie d'extinction en France

Les \ CB2/ZOB/WENN.COM/SIPA




Une décennie après le vote de la loi sur les "bébés-sauveurs", la voie semble se fermer en France. En cause : une technique complexe et un cadre éthique restreint. 


En 2011, Umut-Talha est devenu pendant quelques jours le bébé le plus célèbre de France. Le nourrisson, né après une fécondation in vitro et un double diagnostic préimplantatatoire (DPI), portait en lui le remède permettant de traiter sa grande sœur atteinte de bêta-thalassémie, une maladie génétique de l'hémoglobine. A sa naissance, il a fait don de ses cellules souches, issues du sang de son cordon ombilical, et l’a ainsi guérie. Umut-Talha est le premier « bébé-médicament » de France. En turc, son prénom signifie « notre espoir ».

Débats éthiques

L’expression, crue, polémique et sans doute réductrice, qui associe un être humain (un bébé) à un produit (un médicament) a fait couler beaucoup d’encre. Peut-on mettre au monde un enfant pour en traiter un autre ? S’agit-il d’une conception instrumentaliste de la vie – davantage que le fait, par exemple, de procréer pour « remplacer » un enfant décédé ou encore pour sauver une vie de couple en berne ?

Dans les années 2000, éthiciens, politiciens et cliniciens se sont engagés dans des débats quasi-métaphysiques, allant jusqu’à invoquer l’impératif moral du philosophe Emmanuel Kant qui veut que l'on traite autrui comme une fin et non un moyen. Les hommes d’Eglise se sont ulcérés de cette avancée génétique ; ceux du Parlement ont voté, en suivant les recommandations du comité d’éthique.

Ces recommandations, datées de 2002, précisent que le désir d’avoir un enfant doit primer sur celui d’obtenir un bébé susceptible de sauver son aîné. Elles fixent également les conditions du double diagnostic préimplantatoire, permettant à la fois de sélectionner des embryons indemnes de toute maladie génétique, et d’analyser la compatibilité HLA du futur donneur avec celle de l’enfant à greffer (voir encadré). Mais onze ans après la loi ouvrant la possibilité de mettre au monde des « bébés-sauveurs », la voie semble lentement se refermer.

Le double diagnostic préimplantatoire (DPI), ou "DPI-HLA"

Depuis la naissance-événement d’Umut-Talha, une dizaine de bébés sont nés sur le territoire grâce à cette méthod, qui s’adresse à des parents dont un enfant est atteint d’une maladie génétique grave (des hématopathies, le plus souvent), et qui ne trouve pas de donneur compatible pour une greffe de cellules souches. Quarante couples ont ainsi fait une demande et 36 ont obtenu une réponse positive, selon des données transmises par l’Agence de la Biomédecine, qui doit donner son aval pour entamer cette démarche.

La technique consiste à implanter dans l’utérus de la mère des embryons qui ont fait l’objet d’un double DPI. Le premier diagnostic vise à éliminer les embryons porteurs de la maladie génétique. Le second consiste en un typage HLA (human leucocyte antigen) permettant de déterminer la compatibilité tissulaire de l’embryon avec l’enfant malade. Ce diagnostic s’effectue sur une cellule, prélevée lorsque l’embryon est au stade de huit cellules. Les chances d’obtenir un embryon sain et HLA-compatible sont de l’ordre de 3 sur 16.

A la naissance du bébé ainsi conçu, que beaucoup préfèrent appeler « bébé de l’espoir » ou « bébé sauveur », le sang du cordon ombilical est prélevé et les cellules souches extraites sont greffées chez l’enfant malade par perfusion, après une chimiothérapie. Les cellules du donneur éliminent progressivement les cellules cancéreuses encore présentes dans l'organisme. Il faut compter quelques semaines pour être sûr que la moelle osseuse produise à nouveau des cellules sanguines en quantité suffisante. 


« Une loi écrite par des gens qui avaient peur »

En France, seul un centre, situé à l'hôpital Necker, pratique le double-DPI. Et encore, plus pour longtemps. « Nous arrêtons ; la procédure ne fonctionne pas bien, constate Julie Steffann, généticienne au Laboratoire de Génétique Moléculaire de l'établissement parisien. Sur le plan administratif, elle est extrêmement lourde. Sur le plan technique, la recherche du génotypage HLA est longue et coûteuse – il s'agit d'une grande région, il faut analyser entre 10 et 14 marqueurs génétiques en plus de ceux de la maladie. Cela nous prend un à deux mois, soit presque un poste à plein temps. Tout ça pour qu’au final, on ne tienne pas compte des résultats HLA, puisque la loi est ambiguë sur ce plan. »

 

Une décennie après le vote de la loi sur les "bébés-sauveurs", la voie semble se fermer en France. En cause : une technique complexe et un cadre éthique restreint. bit.ly/1QdG4Gh

Posté par Pourquoidocteur sur dimanche 13 décembre 2015

De fait, une question aussi sensible que centrale n’a pas été tranchée lors des débats parlementaires : celle de la sélection embryonnaire. Seuls les embryons porteurs de maladies peuvent être écartés. Or, les chances d’obtenir un embryon sain mais non compatible avec l’enfant à sauver, sont élevées – de l’ordre de 3 sur 4. Si le couple n’obtient que ce type d’embryons, il se trouve légalement face à deux choix : le transfert dans l’utérus, qui mènera à une grossesse d’enfant non compatible, ou la congélation pour une implantation ultérieure.

Sauf que la loi sur la FIV interdit de procéder à une nouvelle stimulation ovarienne tant la patiente possède des embryons congelés. « Au fond, à quoi cela sert de regarder le HLA si on implante tous les embryons sains, y compris les non-compatibles ? s'interroge Julie Steffann. On place les couples dans une situation intenable, proche du chantage. Cette loi a été créée par des gens qui avaient peur de ses dérives ; elle n’est pas allée au bout de la démarche ».

Ecoutez...
Julie Steffann, généticienne à l'hôpital Necker : « Si on considère qu’il n’est pas éthique de jeter un embryon non compatible, alors il ne faut pas autoriser le double-DPI. Il aurait au moins fallu prioriser les embryons et pouvoir restimuler les patientes, même lorsqu'elles ont des embryons congelés. »


Des succès trop rares

A Necker, les dossiers déjà validés par l’Agence de Biomédecine seront pris en charge. Après, « ce sera du cas par cas, si vraiment il y a une indication qui me semble le justifier. Nous avons suggéré à d’autres centres de s’ouvrir au double-DPI, mais cela n’a pas fait beaucoup d’émules », relève Julie Steffann.

Dans les autres laboratoires, en effet, l’enthousiasme est modéré. Trois autres centres sont autorisés à réaliser des DPI en France pour rechercher une maladie génétique sur un embryon. L’offre peine à combler la demande, et les délais pour obtenir une place s’élèvent en moyenne à un an et demi. Ces centres, déjà surchargés, ne se battent pas pour réaliser des doubles-DPI.

En cause : le faible taux de succès de la procédure. « A l’époque, nous avions refusé de nous engager dans cette voie pour des raisons statistiques, explique Stéphane Viville, Professeur au CHU de Strasbourg et biologiste à l’Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) de Strasbourg. On travaille sur cinq à six embryons, et il est rare d’en obtenir un à la fois sain et HLA-compatible. De plus, les couples ne sont souvent plus très jeunes, puisqu’ils ont eu d’autres enfants auparavant, ce qui réduit encore les chances de succès des FIV et rallonge les délais en cas d’échec ». 

Et ce, alors que les familles qui ont recours au double-DPI agissent dans l’urgence - il s’agit de traiter un enfant gravement malade. Un impératif inadéquat avec la réalité de la procréation pour ces couples, qui inclut au moins un cycle de stimulation ovarienne, une analyse diagnostique, l’implantation embryonnaire… « Que fait-on si l’état de santé de l’enfant se dégrade au septième mois de grossesse ? s’interroge Stéphane Viville. On déclenche l’accouchement ? Mais il y a des limitations de poids et de taille pour le bébé à naître, car on ne sait pas faire proliférer les cellules du sang de cordon… ».

Ecoutez...
Stéphane Viville, Professeur au CHU de Strasbourg, chef  d'équipe à l'IGBMC : « Au final, on propose une solution qui a très peu de chances d’aboutir. En Belgique, il y a de nombreux enfants qui meurent avant la naissance du bébé sauveur… »

 

Des banques mieux approvionnées 

Si la technique du double-DPI disparaît du territoire, cela signerait donc l’arrêt des naissances en France des « bébés de l’espoir » - bien qu’ils soient dans les faits très peu nombreux. Les banques de sang de cordon, qui ont vu leur stock augmenter au cours des dernières années, parviennent en effet à limiter le recours à cette technique.

« Nous avons atteint l’objectif des 30 000 greffons dans les banques françaises fixé dans le Plan Cancer de 2007, précise le Pr Jérôme Larghero, responsable de l'unité de Thérapie cellulaire de l’hôpital Saint-Louis, qui abrite la première banque de sang de cordon ouverte en France, en 1989. Bien sûr, les greffes familiales restent mieux tolérées et plus efficaces ; mais les stocks de dons présentent aujourd’hui une diversité de typages HLA très étendue. Et si aucun greffon n’est compatible en France pour soigner l’enfant, alors, on fait appel aux banques étrangères. En réalité, les cas où on ne trouve pas de donneur compatible sont rarissimes ».

Ecoutez...
Jérôme Larghero, responsable de l'unité de Thérapie cellulaire de l’hôpital Saint-Louis : « Actuellement, on commence à réaliser des greffes semi-identiques - avec des cellules du père ou de la mère. »

Ces quelques cas, aussi isolés soient-ils, risquent pourtant de ne plus accéder à cette pratique en France, et de se rendre à l’étranger pour réaliser un double-DPI - comme souvent, en matière de procréation médicalement assistée. En Europe, sept pays proposent cette procédure, rarement remboursée mais accessible sous des conditions moins restreintes (maladies non génétiques, possibilité d’écarter les embryons non compatibles…).

Le nombre de demandes y est souvent plus élevé qu’en France. En Belgique, un an après la loi de 2004 autorisant le double-DPI pour les « bébés-sauveurs », plus de soixante couples avaient contacté l’hôpital agréé, et une quinzaine s’étaient engagés dans la procédure. En 2005, deux avaient déjà vu le jour.

Lors de la révision de la loi bioéthique française, en 2011, les législateurs n’ont pas modifié les textes précédents. A cette époque, Umut-Talha n’était d’ailleurs pas encore né. Le prochain examen pourrait être l’occasion de reposer la question de l’encadrement du double-DPI, si toutefois il reste des centres qui le pratiquent en France. 

 

 

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