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Forfait au parcours pour les maladies chroniques : belle idée ou nouvelle usine à gaz ?

La mise en place du "forfait au parcours" pour financer la prise en charge des maladies chroniques se heurte aux mêmes écueils de la "pensée managériale de marché" dominante quand il s’agit de traiter les vraies maladies chroniques.

Forfait au parcours pour les maladies chroniques : belle idée ou nouvelle usine à gaz ? wutwhanfoto/istock




Les manageurs et les politiques ont fini après 10 ans par reprendre à leur compte la critique que nous avons faite depuis le début de la fameuse tarification à l’activité (T2A). Adaptée aux activités standardisées, programmées dont le coût varie peu d’un patient à l’autre, la T2A est totalement inadaptée à la prise en charge des patients atteints de maladies chroniques. En effet elle pousse, comme le paiement à l’acte en ville, à multiplier les activités pas toujours utiles et ne favorise pas la coordination des professionnels, chacun cherchant à "optimiser son activité".

De plus, pour rendre compte de la variété des situations des patients, fonction de l’âge, de l’évolutivité de la maladie, des comorbidités fréquentes, des conditions sociales et psychologiques, on a été contraint de multiplier les tarifs, en complexifiant à l’extrême le codage qui détermine le financement. Et puis les tarifs devinrent fluctuants, au gré des coups de rabot budgétaires annuels. Et comme les tarifs évoluaient moins vite que les progrès technologiques, on accumula du retard pour le développement de la télémédecine, longtemps non financée, et pour la généralisation de l’éducation thérapeutique, sous financée. Pas de tarif, pas d’activité !

On va donc enfin abandonner (mais seulement en partie) la T2A pour le financement des maladies chroniques. Elle devrait être remplacée, nous dit-on, par "un paiement forfaitaire groupé au parcours ville-hôpital". Le concept peut séduire mais il ne suffit pas à résoudre la multiplicité des situations complexes observées dans vie réelle. Pour s’appliquer, il suppose une pathologie bien définie, un traitement standardisé, une acceptation du patient d’être traité par un groupe de professionnels travaillant en équipe et ayant défini entre eux la répartition du dit forfait. Cela correspond assez bien aux traitements de chirurgie ambulatoire avec pour la prothèse de hanche ou de genou un forfait regroupant l’anesthésie, la chirurgie et la rééducation ou pour un cancer du sein un "bouquet" imagerie-anapath-chirurgie-radiothérapie-chimiothérapie. Mais, cela est à ce jour très difficilement applicable, voire inapplicable, pour le diabète et ceci pour quatre raisons.

1) La diversité de la maladie et des prises en charge va inévitablement entraîner une multiplication des forfaits, comme on a connu une multiplication des tarifs de la T2A, passés de 700 à plus de 2500 en 10 ans. Les professionnels vont donc être contraints de rechercher les forfaits "rentables" et d’éviter les forfaits sous financés.

2) Comme les gestionnaires restent très attachés à la T2A, on va la maintenir pour les hospitalisations comportant plus de trois nuits. Les professionnels se préparent donc, encouragés par leurs directions, à prolonger inutilement les séjours pour essayer d’accroître le financement de leur établissement.

3) Il n’est pas question de toucher au paiement à l’acte en ville, pas plus qu’aux dépassements d’honoraires "hors forfait".

4) Enfin les malades français ne sont pas, à ce jour, captifs et peuvent fixer eux-mêmes leurs parcours avec leur médecin traitant quand ils ont la chance d’en avoir un. Dès lors, comment va se faire la répartition du forfait entre les intervenants ? Va-t-on devoir faire appel à des managers de gestion, en ajoutant une couche supplémentaire au mille-feuille bureaucratique national ? Le paiement forfaitaire au parcours, concocté par la technostructure sans réelle construction avec les professionnels de terrain, ressemble furieusement à une "super T2A", à la fois allongée dans le temps, l’année remplaçant le séjour, et étendue dans l’espace, partagée entre tous les professionnels concernés d’un territoire. On va dans le mur. Mais pour nous rassurer, on nous dit qu’on commencera par l’hôpital, la ville viendra plus tard, on ira progressivement et au lieu de débuter en Juillet, cela pourra attendre l’automne.

Selon la "pensée managériale de marché" dominante, on ne peut financer la maladie chronique que par des tarifs individualisés, comme dans les rayons des grandes surfaces. Il est impossible d’imaginer une dotation globale annuelle pour la prise en charge d’une population. Cette dotation pour un hôpital, un centre de santé ou une maison de santé, pourrait pourtant être modulée en fonction de l’activité et de la gravité. Elle pourrait comporter un intéressement collectif avec, en cas de sous-exécution du budget alloué (à activité constante), un partage des économies réalisées entre l’équipe de soin, l’établissement et la Sécu. Ce serait donner trop de liberté aux professionnels pour qu’ils puissent innover dans l’intérêt du malade et de la collectivité. Le manageur veut garder la bride sur le coût du professionnel grâce au tarif ou au forfait pour chaque patient. Pourtant, avec une dotation budgétaire contractualisée avec la Sécurité sociale, on en finirait avec ce dilemme historique vécu par tous les professionnels de santé : voler la Sécu ou être volé par elle ?

Mais, on sait qu’"on ne résout pas un problème avec la méthode de pensée qui l’a créé". Faudra-t-il attendre encore 10 ans que les technos reconnaissent leur erreur ?

André Grimaldi

Professeur émérite CHU Pitié Salpêtrière, Paris

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