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Santé et chômage : «Perdre son emploi est un traumatisme, au sens clinique du terme»

Des économistes américains soulignent le lien entre le chômage dans le monde et l'augmentation de maladies et de décés prématurés liés au stress. Auteur du livre "Guide d'autodéfense du licencié, de la déflagration à la reconstruction", un journaliste français confirme l'impact de la perte d'un emploi sur la santé. Interview.

Santé et chômage : \ Cameleonseye/iStock




Les difficultés d'emploi de certaines catégories socio-professionnelles, partout dans le monde, viennent d’être confirmées, le 2 octobre, par la plateforme d'analyse du marché du travail IZA World of Labor. Elles seraient en lien direct avec une augmentation des maladies et des décès prématurés, liés au stress, au désespoir et à la colère. C'est ce que constatent des économistes de la Brookings Institution et de l'université du Maryland.

"Les tendances en matière de mal-être correspondent correspondent à celles des morts prématurées dans de nombreux pays, les personnes exclues du marché du travail étant également représentés de façon disproportionnée parmi les consommateurs d'opioïdes", souligne Carol Graham, économiste de la Brookings Institution.

En France, malgré une légère baisse du nombre de demandeurs d'emploi évaluée par Pôle Emploi à - 0,4% au second trimestre de 2019, on recense toujours près de 3,4 millions de chômeurs. Quel est l'impact sur la santé de la perte d'un emploi ou d'un chômage qui dure ? Dans son livre "Guide d'autodéfense du licencié, de la déflagration à la reconstruction" paru au printemps 2019 chez Robert Laffont, le journaliste Luc Biecq fait raconter à quatorze témoins le traumatisme du licenciement et du chômage et les façons de s'en sortir. Il répond aux questions de Pourquoi Docteur.

- Les chômeurs que vous avez rencontrés vous ont-ils parlé de l'impact du chômage sur leur santé ?

Luc Biecq : J'ai rencontré quatorze témoins, 50% d'hommes et 50% de femmes, et treize d'entre-eux ont tout de suite évoqué une blessure psychique, mais aussi des problèmes de sommeil, ainsi que d'autres maux liés au stress, comme le mal de dos. Et on sait que certains suicides sont en lien direct avec le fait de perdre son emploi ou de ne pas trouver du travail. Si l'on prend la définition que donne l'OMS de la bonne santé, un état de bien-être physique, mentale et social, on est donc bien face à un vrai problème de santé ! Chez ceux qui perdent leur travail, les troubles, plus proches du traumatisme que de la dépression, sont plus fréquents. Ils sont associés à un stress élevé qui provoque des douleurs au dos, ou poussent à la consommation de psychotropes, d’alcool, ou encore à une addiction aux jeux. C’est donc bien le moment de se faire aider, par un médecin généraliste ou un psychologue.

- Comment expliquez-vous que certains hésitent à consulter ?

Lorsque l'on perd son emploi, la première des réactions, une fois passé le choc de l'annonce, est de se dire "je suis costaud, je vais m'en sortir". D’un côté, on se trouve face à une injonction à trouver un travail très vite, de l’autre face à un fait social qui veut que demander de l'aide, ça n’est pas forcément un geste valorisé. Pourtant, consulter est forcément une bonne idée : il faut s’employer à ce que le temps du chômage ne soit pas uniquement un temps de souffrance, mais celui d’une reconstruction, celle de l’estime de soi notamment, qu’on perd souvent dans ces cas-là.

- Peut-on qualifier ces souffrances ?

Dans mon livre, je cite le psychiatre Michel Debout qui dit qu’on n’éteint pas un homme comme on éteint un machine. Perdre son emploi est un traumatisme, au sens clinique du terme, qui s’accompagne des mêmes symptômes : cauchemars, irritabilité, désocialisation, comme Elisabeth Grebot, maître de conférence en psychologie clinique et spécialiste du stress dans le monde du travail l’évoque. Elle rapproche la situation de ceux qui ont perdu leur emploi et l'état de stress post traumatique, parce que les deux se ressemblent beaucoup.

- Comment les professionnels de santé peuvent gérer ces situations ?

Les médecins peuvent intervenir, les psychologues également, c’est vraiment le moment où la personne privée d’emploi doit s’autoriser à parler et ne pas rester seule. Il existe beaucoup de structures associatives, comme les groupes de recherche d’emploi, qui travaillent sur le terrain de façon remarquable et des groupes sur les réseaux sociaux qui jouent un rôle, pour créer du lien.

- Ce sujet de la santé des chômeurs est-il suffisamment pris en compte dans notre système de soins ?

Il ne l’est pas assez. Étonnamment, alors que les risques pour la santé sont accrus, celui qui perd son travail ne bénéficie plus de la médecine du travail ! Un psychiatre brillant, comme Michel Debout, qui écrit et travaille sur ce sujet, estime qu'il faudrait mettre en place des structures pour mieux accompagner et suivre les chômeurs et leur santé. Je crois qu’il a raison, c’est essentiel.

"Guide d'autodéfense du licencié, de la déflagration à la reconstruction", par Luc Biecq, éditions Robert Laffont

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