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Psychologie & éducation

Charge mentale des enfants : « Je n'ai plus de place dans mon cerveau... »

De nombreux enfants vivent sous la pression des exigences et de l'identification projective parentales. Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne et auteure de “La charge mentale des enfants”, décrypte pour Pourquoi Docteur les causes et les effets de ce phénomène.  

Charge mentale des enfants : « Je n'ai plus de place dans mon cerveau... » Tatyana_tomsickova/iStock




Jonas, 8 ans, “doit être le meilleur partout, même en musique” et “être bon en handball comme (son) père”. Emma, 7 ans, “n'en peut plus : maman (...) veut que je sois sage, gentille, belle et je n'ai pas le droit de dire non”. Eglantine, 10 ans, parle 5 langues, pratique 3 sports et joue de deux instruments. Elle avoue : “Je n'ai plus de place dans mon cerveau”. Djamil, 10 ans, fait le ménage, sort le chien, garde sa petite-soeur de 3 ans, rassure sa mère lorsqu'elle se dispute avec son père : “Mes parents sont encore plus fatigants que mes copains”. Savannah, 9 ans, ne se considère “pas vraiment comme une petite fille : je suis un pansement pour papa, un comique pour maman, un arbitre entre papa et maman”.

Comme certains adultes face aux contraintes de la vie quotidienne, les enfants peuvent, eux aussi, souffrir de charge mentale. “Très tôt, affirme Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne et auteure de La charge mentale des enfants (éditions Larousse). A partir de deux ans dans certains cas”. Les projections et les exigences parentales, les éventuelles tensions au sein du couple, l'hyperstimulation ou la notion de performance et de réussite scolaire sont autant de facteurs de risque de la charge mentale infantile, véritable mal-être psychologique pouvant altérer considérablement le comportement et le développement de l'enfant, sans que personne n'en prenne conscience. 

La charge mentale d'un parent peut devenir celle de son enfant

Une mésentente entre les parents peut peser sur l'enfant. “Les enfants sont de fins observateurs, ils essaient de faire l’arbitre, d’apaiser les tensions”, explique Aline Nativel Id Hammou. Dans certains cas, ils tentent de faire diversion : “Un enfant peut manifester un trouble du comportement (se mettre à pleurer, fait une crise par exemple) pour attirer l’attention de ses parents afin que ces derniers se détournent de leur différent”. A l'âge de deux ans déjà, ils interprètent la communication non verbale, c'est-à-dire la gestuelle, les haussements de voix, les expressions de visage et sont capables de sentir l'énergie négative d'une situation. 

L'entrée à l'école peut également être une source de surcharge mentale chez les enfants, notamment lorsque les parents font peser sur leurs épaules la pression de la réussite, le challenge des résultats, de l'excellence. “Le statut d’élève prime parfois sur le statut d’enfant”. Bien sûr, en poussant leur enfant à s'investir dans sa scolarité, les parents estiment faire au mieux, “mais il y a une différence entre pousser et encourager”. 

L'encourager oui, le pousser non

La psychologue aborde également les dangers de l'hyperstimulation. “Plusieurs études mettent en avant qu'il est mieux pour l'enfant de pratiquer au maximum deux activités extra scolaires différentes dans la semaine”, en lien avec ses goûts et ses envies. “Le symptôme le plus récurrent d’une charge mentale liée à une hyperstimulation est la perte de plaisir”. Mais doté d'un sens du sacrifice plus exacerbé que les adultes, "l'enfant peut tout de même vouloir faire plaisir à ses adultes de référence : s'il ressent que ses proches sont réceptifs, captés, intéressés et encourageants, il ne va pas vouloir les décevoir”. Un enfant doit-il se sacrifier pour satisfaire un adulte ? “Certains parents peinent à différencier le ‘je l’encourage et je le motive’ du ‘je l’hyperstimule et je le force’, principalement parce qu’ils estiment que ‘c’est pour son bien’ : ‘il me remerciera plus tard’”. 

Hyperstimuler son enfant serait, selon Aline Nativel Id Hammou, d'autant plus nocif que contrairement à ce que l'on pourrait (encore) croire, le laisser parfois s'ennuyer stimule son développement. “L’ennui est très important pour que l’enfant développe son imaginaire, sa créativité et se retrouve face à lui-même. Sans aller jusqu’à parler d’introspection, être seul lui offre l’opportunité de trouver un nouveau jeu, de se reposer…” Le laisser passer du temps seul contribue également à le familiariser avec les phases de séparation qu’il vivra au cours de sa vie de différentes façons.

L'enfant imaginaire

Aline Nativel Id Hammou décrit le principe de “l'enfant imaginaire”, celui dont rêvent les parents. “Faire le deuil de cet enfant idéal est une étape essentielle qui permet aux parents d'accueillir leur enfant réel et d'apprendre à l'aimer tel qu'il est”, écrit la psychologue.

Si l'enfant commence par s'identifier à ses parents, il finit par s'en détacher pour s'autoriser à développer sa propre personnalité, son originalité. Un processus sain. “Je rappelle souvent aux parents que leur enfant n’est pas un mini eux. C’est un petit bout d’eux oui, mais pas eux”. Même si certains parents rappellent que c'est eux qui lui ont donné la vie, la psychologue insiste : “Il y a la génétique oui, mais il y a le moment ou l’enfant va développer sa personnalité en dehors de vous”. Pour bien faire, il est nécessaire que le parent s'oublie, pour respecter son enfant qui est en construction, en devenir, et qui sera peut-être différent de lui, tout en l'aimant profondément. 

Dépersonnalisation et psychosomatisation

“Quand l'enfant dit ‘non’ ou qu’il s’exprime clairement au sujet de ce qu’il veut faire, il est en bonne santé psychologique. Même s’il change, qu’il ne veut plus écouter. Ça veut dire qu’il va bien, il n’est plus en fusion avec le parent, il essaie de se décoller, de s’exprimer, c’est très important”, précise la psychologue. En somme, bien que compréhensible, le concept de possession, d’affiliation et de ressemblance parent-enfant peut entraver le développement de ce dernier. La psychologue parle alors de dépersonnalisation, car en étant tel que les autres le souhaitent (parents, grand-parents, entraîneurs, professeurs...), “l'enfant n’arrive pas à développer sa personnalité. Il va dire oui à tout, être dans une espèce de servitude et avoir des troubles relationnels importants, parce qu’il n’arrivera pas à s’amuser avec d’autres enfants, il aura perdu sa légèreté, son insouciance.”

Le risque, c'est la psychosomatisation : “Le mal-être psychologique passe par le corps. Et quand l'enfant dit qu'il a mal quelque part, cela veut parfois dire qu'il attend que l'adulte s'occupe de lui”. Il arrive donc que des enfants en souffrance se plaignent de douleurs dont on n'explique pas la cause. 

Quel adulte deviendra un enfant en surcharge mentale ?

Quel adulte deviendra un enfant ayant souffert d'une charge mentale non traitée ? “J'en rencontre quelques-uns”, explique Aline Nativel Id Hammou. Arrive un moment où l'enfant, une fois devenu adulte, fait le bilan de sa vie et prend conscience qu'elle n'est pas telle qu'il l'aurait souhaité lui. Une fois qu'il a coché toutes les cases où on l'attendait et qu'il a pris les directions demandées, il réalise qu'il ne se connait pas”, qu'il n'est pas à sa juste place. Cela peut concerner la vie professionnelle, maritale ou encore sexuelle. 

Grandir en refoulant sa vraie nature et ses propres envies peut pousser certaines personnes vers des relations toxiques, non épanouissantes ou les confiner dans un rôle de soumission ou de dépendance affective. Une prise de conscience tardive peut faire l'effet d'un coup de massue. Dans certains cas, les personnes concernées "font un burn out", étouffent. Comme si leur vraie nature tentait de remonter à la surface par la force des choses. Certaines décident de tout plaquer et “optent pour une reconversion professionnelle”.

Toutefois, peut-on véritablement guérir à l'âge adulte d'une charge mentale infantile ? “On peut cicatriser quelques blessures (la nuance est importante, NDLR) si l'on opère un changement de vie radicale”, en osant réajuster les paramètres de sa vie selon ses envies de départ. Plus précisément, en s'autorisant enfin à faire selon soi et à en tirer satisfaction. “Il faut tout déconstruire, parfois sans que l’entourage comprenne ce qui se passe, tant la personne aura refoulé sa vraie personnalité”. Opérer un tel changement peut donc amener son lot d'incompréhensions et de tensions au sein des couples ou des familles. Dans certains cas, ce souffle froid suffira encore à museler la vraie nature d'une personne ayant souffert de charge mentale dans son enfance. Dans d'autres, cette dernière aura besoin d'opérer des changements radicaux (séparation, déménagement, démission...). 

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