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QUESTION D'ACTU

Témoignage patient

Journée mondiale de la schizophrénie : «Je me suis pris pour la météo mondiale»

A l'occasion de la journée mondiale de la schizophrénie, l'auto-entrepreneur de 55 ans Laurent Lefebvre nous raconte son combat contre cette maladie mentale.  

Journée mondiale de la schizophrénie : \ sudok1 / istock.




L'ESSENTIEL
  • La schizophrénie touche près de 700 000 personnes en France (soit 1 personne sur 100).
  • Les premiers signes de la schizophrénie se manifestent entre 15 et 25 ans (85% des nouveaux cas diagnostiqués chaque année).
  • Les personnes qui développent une schizophrénie ont une fragilité biologique (cerveau et corps), mais elles sont aussi soumises à des stress environnementaux.

Pourquoi docteur - Comment votre schizophrénie s’est-elle déclenchée ?

Laurent Lefebvre - Cela a commencé lors de mon service militaire, en 1989. J’avais été réquisitionné en tant que flutiste. On m’a demandé de jouer une partition difficile, que je ne maîtrisais pas, à une soirée privée donnée pour des généraux. Le stress que cela m’a généré a provoqué une décompensation psychotique. J’avais 23 ans.

- Quels ont alors été vos symptômes ?

Au début, j’ai ressenti de l’euphorie, j’avais l’impression de pouvoir faire plus de choses que d’habitude. Ensuite, je suis peu à peu sorti de la réalité. Je me suis inscrit dans un scénario ou je voulais sauver le monde. Je me prenais pour un prophète, une sorte de héros avec des super pouvoirs.

- Lors de votre première crise, avez-vous pris conscience que vous basculiez dans la schizophrénie ?

Lorsque cela m’est arrivé, je ne me suis pas vraiment rendu compte de ce qui se passait. A l’armée, quand mes supérieurs ont vu que je développais une conduite un peu bizarre, on m’a d’abord pris en charge à l’hôpital militaire de Fribourg. Au bout d’un mois, on m’a réformé. Ma mère est venue me chercher et m’a ramené chez elle. J’étais encore complètement délirant, et cela a duré quatre mois. C’est finalement grâce à des électrochocs que je suis revenu à la réalité.

- Vous faites-vous soigner aujourd’hui ?

Oui, je suis suivi par un psychiatre et je prends un traitement tous les matins : l’Abilify. Ce neuroleptique me maintient dans la réalité, même en cas de montée de stress.

- La schizophrénie a-t-elle toujours un impact sur votre quotidien ?

Hormis mon suivi psychiatrique et ma prise quotidienne d’Abilify depuis 2005, ça va bien : j’évolue tout à fait normalement. Je ne souffre plus d’aucuns symptômes de la maladie, qu’ils soient délirants ou dépressifs (manque d’envies, repli sur soi, peur des autres…). Je travaille tranquillement à la tête de mon auto-entreprise spécialisée dans la maladie mentale.

En revanche, je ne pense pas avoir d’enfants. Dès l’âge de 23 ans, j’ai compris qu’il ne fallait pas que je sois père, même si ce deuil n’a pas été facile à faire.  

- Êtes-vous resté longtemps sans traitement approprié ?

Oui, car je n’ai été diagnostiqué comme schizophrène que 10 ans après ma première crise psychotique. Et avant l’Abilify, j’ai essayé beaucoup de traitements inefficaces sur mes symptômes dépressifs. Par ailleurs, je suis sorti deux autres fois de la réalité. Pendant toute cette période, je n’arrivais pas à travailler, à cause de problèmes de fatigue et de concentration.

- Avez-vous changé de personnalité lors de vos trois crises psychotiques ?

Absolument pas. Les schizophrènes ne changent pas de personnalité, c’est un mythe malheureusement trop répandu. Lors des crises psychotiques, c’est plutôt une compréhension des choses qui change, qui bouge. Dans un de mes délires, j’ai par exemple eu l’équation E=MC2 d’Albert Einstein qui s’est incrustée dans mon cerveau, et j’avais l’impression de la comprendre physiquement, avec mon corps.

Lors de ma deuxième sortie de réalité, je me suis pris pour la météo mondiale. Je me sentais responsable du temps qu’il faisait, et je ressentais une grande pression, une grande souffrance.

La difficulté, c’est que pendant les sorties de réalité, les schizophrènes ont l’impression que c’est eux qui détiennent la vérité, ils n’entendent par les remarques de leur entourage. C’est souvent ça qui crée des tensions avec les proches.

Cette modification de conscience est provoquée par la déficience d’un ou deux sens.

- Avec le recul, que pensez-vous de votre prise en charge ?

Je pense qu’on ne communique pas assez d’informations aux patients en hôpital psychiatrique (j’ai été hospitalisé deux fois). On ne voit que très peu les psychiatres, et il n’y a pas assez d’indications sur les traitements qui sont proposés.

- Est-ce vous souffrez de "psychophobie" ?

J’ai eu de la chance, car ma famille et mes amis n’ont jamais été stigmatisants. Je ne me suis pas senti rejeté par mes proches, contrairement à beaucoup de patients schizophrènes.

Mais j’ai tout de même souffert de préjugés et de manque d'empathie. On bénéficie de beaucoup moins de compassion quand on dit que l’on est schizophrène que quand on dit qu’on a un cancer, par exemple. Pourtant, la schizophrénie engendre de grandes souffrances, mais les gens ne s’en rendent absolument pas compte. La société française condamne encore les maladies mentales, et plus particulièrement la schizophrénie, toujours associée à des violences et à des personnalités multiples.

- L’intégration de la schizophrénie dans de plus en plus de films et de séries est-elle une bonne chose selon vous ?

Cela dépend comment c’est traité. Le film Psychose, de Hitchcock, a par exemple terriblement stigmatisé la schizophrénie, et fait encore beaucoup de dégâts aujourd'hui.

- Y a-t-il des choses à améliorer pour les schizophrènes en France ?

Oui, notamment au niveau de la prise en charge aux urgences psychiatriques. Quand la personne schizophrène sort de la réalité, il faudrait que les parents, le conjoint ou les proches puissent avertir les professionnels de santé, afin d'organiser une hospitalisation. Plus de médecins devraient aussi savoir qu’il est possible de sortir de la schizophrénie.

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