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QUESTION D'ACTU

L'interview de la semaine

Pr Pierre-Louis Druais :«La Covid est une maladie de médecins généralistes !»

Constitué dès le début de la crise sanitaire, le Conseil Scientifique a beaucoup fait parler de lui à travers ses avis sur lesquels le pouvoir politique s'est souvent appuyé... mais qu'il a aussi parfois négligés. Le représentant de la médecine générale au sein de ce Conseil, le Pr Pierre-Louis Druais, nous dévoile les dessous du fonctionnement de cette instance et quelle place elle a réservée à la médecine de ville dans la gestion de l'épidémie de Covid-19.

Pr Pierre-Louis Druais :\ DR




- Pourquoi-Docteur : Quel est votre rôle en tant que généraliste au sein de ce fameux Conseil Scientifique dont on parle tant depuis le début de la crise sanitaire ?

Pr Pierre-Louis Druais : C’est une question que je me suis posée moi-même quand j’ai reçu le coup de fil du ministre de la Santé me disant que le président voulait constituer un conseil scientifique sur la Covid et qu’il m’a dit : ‘On a besoin de vous ». J’avais quitté depuis un mois la présidence du collège de la médecine générale et j’avais une forme de légitimité à accepter pour trois taisons : la première, c’est l’expérience de terrain, plus de 40 ans d’exercice de la médecine générale et plus de 30 années de combat pour faire naître et vivre cette discipline, la deuxième c’est que je me suis dit que je pouvais apporter quelque chose de transversal sur les soins de santé primaire et ses acteurs, médecins mais aussi infirmiers, pharmaciens et kinésithérapeutes, la troisième c’est que je ne suis pas très intimidé face au pouvoir politique et aux représentants des autres disciplines avec lesquels j’ai souvent échangé.

Et ce qui m’a intéressé aussi c’était l’existence dans ce conseil de deux disciplines non médicales, le sociologue et l’anthropologue. C’est pour moi un des axes importants de la médecine générale qui n’est pas qu’une médecine scientifique mais aussi une médecine de l’homme et de la population.

Ce Conseil, on entend beaucoup son président dans les médias et il y est fait référence lors de décisions prises par le pouvoir politique, mais on ne sait pas trop comment il fonctionne, il y a quelque chose d’un peu secret même si les avis que vous rendez sont publics... Concrètement, comment fonctionne ce Conseil Scientifique ?

Il faut dire d’abord que nous avons travaillé en flux tendu autant que de besoin : il y a des périodes où on se réunissait tous les jours, voire plusieurs fois par jour, toujours en distanciel pour faciliter les choses et parce que se retrouver en groupe cela n’aurait pas été cohérent face à la situation épidémique et aux mesures à mettre en place… même si au début tout cela a été très erratique ! Mais non, il n’y a pas de secret autour de ce que fait le Conseil scientifique : tout ce qui fait l’objet d’un avis publié est consensuel. C’est un énorme travail avec toutes les études qui étaient publiées et surtout je voulais aussi avoir les retours de terrain des confrères généralistes, des expériences comme par exemple ce que l’on a appelé les covidromes pour lesquels les ARS n’étaient pas d’accord alors que l’on était dans l’urgence, qu’il y avait le feu à la maison !

Le Conseil Scientifique n’est pas secret. On a parfois, sur certains avis, inscrit le désaccord de tel ou tel participant. Personnellement, je ne me suis jamais senti exclu, ma parole a toujours été entendue même si elle n’a pas toujours été prise en compte.

Est-ce que les décisions du ministère de la Santé en matière de prise en charge des patients au début de l’épidémie n’ont pas été un peu trop centrées sur l’hôpital ?

Cela a été plus que trop centré… mais contre cela, c’était difficile de lutter et on voit bien que la crise Covid ne fait que pointer du doigt et mettre une loupe grossissante sur cette absence d’organisation des soins de santé primaires, de méconnaissance même de leur rôle et cette dissociation de ce qui devrait être un continuum entre les soins de santé primaires, les soins secondaires, les soins tertiaires, le CHU mais aussi l’hôpital au sein du système de soin et non pas le noyau du système. On voit bien que l’hôpital est toujours impacté parce que cette maladie a voulu cela au début, mais j’ai toujours pensé que la Covid était une maladie moyenâgeuse, une maladie de soins de santé primaires, une maladie de médecins généralistes. Mais on n’a pas voulu l’entendre et on est parti tout de suite vers l’hyper-spécialisation sans réfléchir sur ce qui aurait pu être fait en amont.

Quand vous dites « on n’a pas voulu l’entendre », c’est le Conseil scientifique qui n’a pas voulu l’entendre ou lui-même qui n’a pas été entendu ?

Quand une vague vous tombe dessus, la première chose à faire c’est d’organiser la protection et après de réfléchir à ce que l’on fait. Mais très vite, dès le mois d’avril 2020, j’ai alerté que dans mon cabinet je ne voyais plus personne ! Je détectais des patients dont l’état était en train de se dégrader à leur domicile, qui mouraient de peur à l’idée de venir au cabinet parce qu’on leur avait dit qu’il ne fallait pas se déplacer, lorsqu’ils appelaient le 15 cela ne répondait pas et moi lorsqu’il fallait appeler le 15 pour un AVC, il fallait deux heures pour avoir un correspondant ! On était en train de créer des effets collatéraux de la Covid qui allaient faire au moins autant de morts que la Covid elle-même ! Au sein du Conseils scientifique, ma parole est libre et je suis écouté autant que de besoin ! Mes collègues hospitaliers ou réanimateurs ont confirmé qu’ils ne voyaient plus aux urgences de victimes d’AVC ou d’infarctus et ils m’ont dit « il faut que l’on fasse quelque chose ».

Au-delà de ce nécessaire maintien de la prise en charge des autres maladies, pour ce qui concerne les patients Covid, beaucoup de généralistes affirment avoir été privés de leur liberté de prescription. Que leur répondez-vous ?

Là-dessus, je ferai deux commentaires. Le premier c’est que l’on a très vite vu arriver deux choses, c’est que des médecins se prenaient pour des journalistes et des journalistes se prenaient pour des scientifiques ou des médecins et cela, c’est la pire des choses ! Parce que celui qui trinque dans cette affaire, c’est le patient.

La deuxième chose à propos de la liberté de prescription, ce n’est pas parce que l’on est dans une pandémie que l’on doit déroger aux principes de base qui sont la prescription hors AMM, les bonnes pratiques et ma position à la Haute Autorité de Santé fait que je ne peux pas dire autre chose qu’entendre des professeurs qui se sont transformés en gourous en affirmant ce qu’ils affirmaient, même à l’époque, je considérais que c’était non seulement dangereux mais surtout une vraie félonie parce que c’est une atteinte à la science, à la médecine et c’est une insulte aux professionnels de santé.

Le médecin doit s’appuyer sur un certain nombre de connaissances et sur un certain nombre de principes. Et même si cela dérange certains que les études sur les médicaments sont faites telles qu’elles sont faites -je suis le premier à regretter que certains traitements soient indiqués à des patients dont le profil n’a pas été intégré dans les études-, cela ne justifie pas de faire n’importe quoi. Donc je considère qu’il n’y a pas eu d’atteinte à la liberté de prescription, il y a eu l’obligation faite de respecter un certain nombre de principes déjà existants.

Un certain nombre de vos confrères disent malgré tout que vous avoir réduit à prescrire un test et dire à vos patients d’appeler le SAMU si cela n’allait pas, c’était un peu limiter votre rôle…

Là ce n’était pas un problème de liberté de prescription, c’est une non-reconnaissance du rôle du médecin généraliste dans une organisation structurée du soin. D’avoir dit aux gens, restez chez vous, fermez les portes, ne vous déplacez plus et n’allez plus voir votre médecin, c’était non seulement une erreur mais surtout une non-reconnaissance de ce qui s’est fait sur le terrain. J’espère que lorsque l’on aura le temps de regarder ce qui s’est passé, on verra qu’il y a énormément d’actions qui se sont faites sur le terrain et heureusement pour la population ! Cela n’était pas regardé parce que l’objectif de tout était sur ce qui se passait à l’hôpital. A côté des problèmes des urgences et des services de réanimation, il n’y avait pas beaucoup de place pour dire que l’on faisait une médecine de proximité. Le rôle du médecin, ce n’est pas seulement de prescrire, c’est d’accompagner les patients, c’est d’expliquer et puis, dans cette période-là, d’appeler tous les patients qui souffrent d’une maladie chronique pour savoir comment ils vont. Un confrère l’a raconté l’histoire de l’un de ses patients, 55 ans, qui l’a contacté pour des douleurs d’estomac en expliquant qu’il ne voulait pas se déplacer pour ne pas l’embêter. Il a finalement été reçu au cabinet -avec les mesures d’hygiène et de prudences nécessaires, on a tous fait des choses qu’il faudra un jour décrire ! - avec sa suspicion d’ulcère qui était en réalité… un infarctus ! Dans un cas comme celui-ci, la perte de chance est monstrueuse ! A l’aune d’histoires comme celle-ci, on peut dire que c’est vrai, on n’a pas laissé les médecins continuer de faire leur job ! Mais cette réalité a été impactée par ce discours « laissez-nous prescrire » et on sait ce que sont devenus ces gens qui aujourd’hui sont avec les anti-vax dans une espèce de rupture qui leur a fait perdre leur âme.

Justement, à propos de la vaccination, on a ouvert des centres dans des stades, des mairies… Le rôle des généralistes dans cette campagne n’a-t-il pas été, une fois encore, négligé ?

Aller dire à des médecins bac plus dix qui vaccinent tous les jours  « ah, non, ce n’est pas votre boulot », c’est une ineptie ! C’est vrai que le conditionnement des vaccins à ARNm à moins 80 degrés a été un frein. Mais il y a eu AstraZeneca et il a pourtant fallu que les syndicats interviennent auprès de l’Assurance Maladie et auprès des ARS -à leur propos, il faudra d’ailleurs peut-être se poser la question de leur rôle…- pour participer à la campagne de vaccination. Et heureusement que les médecins s’y sont mis ! Mais on n’a pas compris que c’était pour eux un investissement important…

Ce n’est pas toujours confortable d’être dans un Conseil Scientifique parce que c’est accepter d’être un oiseau de mauvais augure. Mais notre souci est bien d’être scientifiques et non pas politiques. Les décisions politiques, on ne les discute pas. Il y en a un certain nombre que je considère personnellement comme inadéquates, mais le scientifique dit les choses et le politique décide et c’est à lui d’assumer. Nous ne sommes pas, nous, un conseil politique ! Nous ne travaillons que sur des données, des niveaux de preuve, des hypothèses et l’expérience qui est la nôtre.

A entendre certaines prises de parole de votre président, le Pr Delfraissy, on a l’impression que les avis du Conseil Scientifique n’ont pas toujours été suivis par le pouvoir politique. Comment avez-vous vécu ces situations ?

Je les ai vécues sans difficulté aucune… parce que, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, notre président de la République n’est pas un scientifique même s’il a une grande capacité d’intégration de données et que l’on ne peut pas lui reprocher de vouloir comprendre ni le fait qu’il comprend vite. Maintenant les décisions politiques ne doivent pas s’appuyer sur une science proéminente : si demain les scientifiques doivent piloter la vie politique, il y a du souci à se faire !

Qui est le patron en ce moment ? C’est le virus ! Donc, face à cela, aux politiques de prendre des décisions. En tant que citoyen, je peux avoir des idées sur la question, en tant que membre du Conseil Scientifique, je reste dans mon champ et dans mon domaine, celui de la médecine générale au sein d’une histoire qui la concerne et où il faut essayer de comprendre pourquoi elle doit exister, pourquoi elle n’a pas été assez reconnue et savoir ce que demain il faudrait faire. La question est aujourd’hui de savoir ce que la médecine générale peut apporter pour la suite, parce qu’il y a des choses qui vont apparaître.

Mais le Conseil Scientifique n’est pas là pour dire ce qu’il faut faire, il est plutôt là pour alerter : quand on a dit attention, il peut y avoir un mouvement sociétal avec Omicron qui peut paralyser une partie de la vie sociale et de la vie économique et qu’aujourd’hui on nous dit que nous avons eu tort parce que ce n’est pas vrai, la réponse que je fais est de dire que lorsque l’on fait de la prévention et que l’on est efficace, on empêche l’événement que l’on avait prévu de se produire, donc on ne peut pas à posteriori nous dire que nous avions tort.

Au-delà de ce que le Conseil et vous, représentant les généralistes dans ce Conseil, avez apporté durant cette crise, vos travaux, même après la fin de cette pandémie, pourront-ils déboucher sur une meilleure organisation des soins ?

La Covid va devenir encore plus maintenant une maladie de médecine générale. Omicron va sans doute atteindre son pic d’ici une quinzaine de jours et il y aura encore quinze jours de délai pour voir quel impact cela peut avoir sur l’hôpital. Donc cela va grimper d’ici quinze jours.  

Avec les tests, on est en train de faire une gestion de la Covid où l’acteur principal, c’est le citoyen ou le patient, c’est bien mais si on oublie le médecin, cela ne va pas bien se passer ! Il faut quand même un professionnel formé pour dire au patient de 75 ans qui a le nez qui coule depuis deux jours « il serait bien que l’on vous examine ». On fait encore en 2022 de la médecine avec les yeux, les oreilles et les mains et si on n’examine pas ses patients, ces gens-là ne vont pas mourir de la Covid mais des complications de leurs autres maladies induites par la Covid. Anticiper pour leur éviter de se retrouver en réanimation, c’est notre rôle ! Les informer qu’il existe des traitements préventifs, c’est aussi notre travail. Mais cela ne se fait pas : à la grande époque du variant Delta, les anticorps monoclonaux, ils sont restés dans les placards ! Demain on devrait avoir les anti-protéases : là il ne faudra pas interdire aux médecins de prescrire ! Tous sont parfaitement capables de devenir des acteurs de première ligne pour éviter à certains patients d’aller encombrer l’hôpital.

On a dit souvent qu’à l’hôpital, au plus fort de la crise, la récupération du pouvoir par les médecins avait permis de faire face en trouvant les bonnes organisations. Peut-on considérer que le Conseil Scientifique, en créant de la transversalité entre tous les acteurs, est une instance qui pourrait perdurer pour aider à trouver des solutions aux faiblesses du système de santé ?

Je le souhaite ! Il y a une phrase qui résume cela : et si on faisait confiance aux professionnels qui sont sur le terrain, chacun à son niveau ? On a vu les hospitaliers s’organiser et on a vu que cela marchait. Pourquoi ? Parce qu’un médecin, il n’est pas médecin par hasard, une infirmière ne l’est pas non plus par hasard et quand l’un et l’autre sont confrontés à une situation critique, ils font face.

Faisons confiance aux professionnels de santé, qu’ils s’organisent. Les Français ont toujours montré que face à des situations de crise, il y avait du génie collectif pour faire progresser les choses.

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