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QUESTION D'ACTU

Santé publique

L'Europe ajoute des pesticides dans notre assiette

Alors que la France est l'une des plus importantes consommatrices de pesticides dans le monde, l'Europe a décidé d'élever les seuils d'utilisation de ces produits. 





« Pour être en bonne santé, mangez cinq fruits et légumes par jour », le mot d'ordre est maintenant bien connu. Mais est-ce bien raisonnable si ces aliments contiennent une dose de pesticides supplémentaire ? Depuis début septembre, il est possible de trouver sur les marchés ou aux rayons frais des grandes surfaces des fruits et légumes qui ont des doses de pesticides supérieures aux normes françaises existantes. La Commission européenne a édité de nouvelles règles qui fixent les limites maximales de résidus (LMR) de 300 pesticides présents dans les produits alimentaires.

L'objectif était d'harmoniser les normes entre les 27 pays de l'Union. Sauf qu'au lieu de choisir les seuils les plus bas en vigueur dans les Etats membres, Bruxelles a opté temporairement pour les plus hauts. Une décision d'autant plus paradoxale que la France vient d'adopter en Conseil des ministres un plan de réduction d'usage des pesticides (Plan EcoPhyto 2018).

Démonstration avec un insecticide qui est aspergé sur les pommes et les poires, le diflubenzuron. En France, la LMR est fixée à 1mg/kg. Or, la Commission l'a fixée à un seuil 5 fois plus élevé, 5mg/kg. Le comble, c'est que cette décision ne tient pas compte des recommandations de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA). Pour exclure tout risque de toxicité aiguë chez les plus gros consommateurs de pommes, l'EFSA a fixé la LMR de cet insecticide à 0,35 mg/kg.

Sans oublier que sur un même fruit, les producteurs aspergent de multiples produits phytosanitaires. Accepteriez-vous de croquer dans une pomme qui a non seulement 14 fois plus de diflubenzuron, mais aussi 10 fois plus de dithianon (contre les maladies de la suie et des crottes de mouche) et 4 fois plus de tetraconazole (contre les champignons) que les normes fixées par l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) ? Pour les associations écologistes et les associations de consommateurs, cette réglementation est inacceptable. Au point que plusieurs d'entre elles ont intenté une action en justice devant la Cour européenne de justice. Pour François Veillerette, président d'une association de défense de l'environnement (MDRGF) particulièrement active sur les pesticides, « l'harmonisation partait d'une bonne intention, puisque certains pays n'avaient pas fixé de règles concernant les résidus.

Mais pourquoi ne pas avoir respecté les normes de l'EFSA ? Avec cette décision, les consommateurs seront moins protégés pour au moins deux cents pesticides. La Commission ne respecte pas le principe de précaution. » « Il s'agit d'un  nivellement par le bas des exigences de sécurité sanitaire, juge la sénatrice (apparentée PS) Marie-Christine Blandin, qui s'était penchée en 2007 sur les risques chimiques au quotidien. Les arbitrages se font régulièrement en faveur du plus petit dénominateur commun. J'ai déjà observé cela pour les éthers de glycol et autres polluants de l'air intérieur », ajoute la sénatrice, membre de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Si nous trouvons plus de pesticides dans nos assiettes, quels sont les risques ? Selon le rapport de Greenpeace, la consommation de pommes, poires, raisins, tomates pourrait poser des risques pour la santé des enfants. « Pour un enfant pesant 16 kg, la dose de pesticides dangereuse pour la santé est dépassée après la consommation de 20 grammes de raisins, 40 grammes de pommes ou de 50 grammes de prunes », alerte le biochimiste allemand Helmut Burtscher, engagé dans le combat associatif écologique.

En France, des professionnels de santé s'interrogent. Le chirurgien pédiatre Rémi Besson et l'endocrinologue pédiatre Maryse Cartigny du CHRU de Lille ont déjà exprimé, au Sénat en 2007, leurs inquiétudes sur l'impact des polluants sur le développement de l'enfant. Le Pr Rémi Besson a expliqué qu'il était amené à prendre en charge lors de ses consultations 3 à 4 nouveaux patients pour des malformations génitales et rénales qu'il attribue à la pollution environnementale. Le Dr Maryse Cartigny pointe du doigt une action des pesticides. « Ils font effet d'interrupteurs endocriniens ce qui peut perturber la différenciation sexuelle. Or, de nombreuses études depuis les années 90 constatent l'augmentation de malformations sexuelles chez les garçons (hypospadias, ectopie testiculaire), problèmes de stérilité, de puberté précoce chez les filles », décrit l'endocrinologue.
Autre problème, « avec les pesticides, il n'y a pas de dégradation, il s'accumule au fil des ans dans notre organisme ». En outre, « on étudie les risques pour un produit mais jamais les effets cumulatifs entre eux alors qu'une pomme aura subi près de 17 traitements différents avant d'arriver à maturité », souligne le Dr Maryse Cartigny. Un autre médecin s'inquiète, le Pr Charles Sultan, chef du service d'hormonologie au CHU de Montpellier. Il a mené une étude sur les nouveaux-nés d'une maternité. Et il a constaté que 28 % des nouveaux-nés présentant une malformation génitale étaient issus d'une famille d'agriculteurs, alors que ce pourcentage n'était que de 14 % chez les enfants tirés au sort. Or, les agriculteurs sont les premiers exposés aux pesticides.

Jusqu'à présent, les recherches sur les conséquences des pesticides sur la santé, se sont surtout portées sur les agriculteurs. En effet, il faut rappeler que la France est l'un des premiers consommateurs de pesticides au niveau mondial, et les quantités utilisées en agriculture avoisinent les 80 000 tonnes par an. A la suite du Grenelle de l'environnement, le ministère de l'Agriculture s'est engagé le 10 septembre dernier à faire baisser de moitié l'utilisation des pesticides en France en dix ans (cf. Plan EcoPhyto2018). « Les agriculteurs manipulent 90 % des produits phytosanitaires, rappelle le Dr Jean-Luc Dupupet, médecin en charge de ces risques à la MSA. Face à ce constat, la Mutualité sociale agricole (MSA) a décidé d'étudier de près leurs effets indésirables et différés. « Des études étrangères montrent que certains cancers étaient plus fréquents chez les agriculteurs, comme les tumeurs au cerveau, le cancer de la prostate, les hémopathies, les mélanomes, alors que pour d'autres cancers comme les poumons ou l'½sophage, la prévalence est moins importante que pour la population générale ».

La MSA finance notamment des études épidémiologiques. L'étude menée par le Dr Alexis Elbaz a montré une association entre les pesticides et la maladie de Parkinson. « On s'interroge aussi sur un lien entre les pesticides et la sclérose latérale amyotrophique », ajoute le Dr Dupupet. Depuis 2005, l'étude AGRICAN coordonnée par le Dr Pierre Lebailly à Caen, avec une cohorte de plus de 120 000 personnes, doit permettre de mieux caractériser les risques entre cancers et pesticides. « Mais les premiers résultats sont attendus en 2009 pour les cancers les plus fréquents, et à l'horizon 2015 pour les cancers les moins fréquents », témoigne le Dr Dupupet.

« Les risques pour la santé des insecticides actuellement autorisés en France et plus généralement des produits phytosanitaires, sont souvent très surestimés, alors que leurs avantages sont très sous-estimés, estime le Pr André Aurengo, spécialiste des pathologies thyroïdiennes, qui a fait partie d'un groupe de réflexion sur les pesticides. La plupart de ces risques sont identifiés par des études épidémiologiques cas-témoins, or celles-ci comportent des incertitudes sur le degré d'exposition. Nous ne pouvons pas considérer leurs conclusions comme réellement établies, qu'elles soient positives ou négatives ».

Face à ces interrogations sur les dangers de l'exposition de la population aux pesticides, la France s'est depuis 2003 dotée d'un observatoire des résidus de pesticides (ORP) dépendant de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE). Mais suite à cette nouvelle contreverse sur les pesticides, ces agences se cantonnent pour le moment dans le silence. La sénatrice Marie Christine Blandin rappelle que les limites fixées par Bruxelles ne sont que des limites maximales. Elle invite les agriculteurs à « avoir une démarche vertueuse et à en faire un argument de vente ».

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