Le 17 août 2012, pris de vertiges, vomissements, troubles de l’équilibre et de l’allocution, Christophe Blard appelle les pompiers et décrit ses symptômes. Pensant à un coup de chaud, le pompier de permanence au bout du fil lui conseille de rentrer chez lui et ne se déplace pas. Mais sur le chemin, Christophe Blard s’effondre. Environ deux heures plus tard, une passante le découvre inconscient dans la rue et le conduit à l’hôpital Victor-Provo de Roubaix.
Sur place, les médecins attendent deux heures avant de se décider à l’envoyer au CHR de Lille "compte tenu de la gravité de son état de santé". Arrivé sur place à 3h30 du matin, il est trop tard : Christophe présente déjà une "tétraplégie flasque aux quatre membres" suite à son AVC. Un examen neurologique diagnostique qu’il souffre du "locked in syndrom" ou syndrome d’enfermement. Si ses facultés intellectuelles sont intactes, il est aujourd’hui tétraplégique et dépendant. Il est conscient, entend et voit mais ne peut plus parler.
"L'opérateur qui a pris l'appel n'a pas fait le nécessaire"
Après six ans de procédure, le tribunal administratif de Lille a finalement condamné le SDIS et le centre hospitalier de Roubaix à lui verser 315 287,43 euros ainsi que 18 000 euros à ses parents. En effet, selon la justice, les 3h30 de retard dans la prise en charge du patient l’ont privé de "30% de chances de subir une évolution neurologique moins défavorable et de conserver des séquelles moins lourdes de l'accident vasculaire cérébral dont il a été victime".
"Il ressort clairement de l'appel qu'il passe aux pompiers qu'il est en état de détresse et en tout état de cause que l'opérateur qui a pris l'appel n'a pas fait le nécessaire. C'est un dysfonctionnement du service", a témoigné Blandine Lejeune, l'avocate de Christophe, à BFMTV. Pour sa défense, le SDIS du Nord, affirme que le pompier de permanence qui a pris l’appel a répondu à la victime de "manière adaptée au vu du nombre important d'appels ce jour-là, de ses compétences médicales très limitées et des symptômes décrits par l'intéressé pouvant évoquer d'autres pathologies qu'un accident vasculaire cérébral".
Les erreurs des services d'urgences se succèdent
Cette affaire n’est pas sans rappeler celle de Naomi Musenga, décédée fin décembre après avoir contacté le Samu de Strasbourg qui s’était moqué d’elle au téléphone. Cinq mois plus tard, les révélations concernant les circonstances de sa mort ont déclenché une vaste tempête médiatique et conduit à l’ouverture de plusieurs instructions. Le parquet de Strasbourg a ouvert une enquête préliminaire du chef de non-assistance à personne en péril et les parents de la victime ont déposé une plainte pour connaître les causes exactes de la mort de leur fille. En parallèle, une enquête administrative a été ouverte par les hôpitaux universitaires (Hus). La ministre de la Santé Agnès Buzyn doit notamment rencontrer les médecins urgentistes pour faire le point sur le drame.
Depuis ces révélations, les témoignages relatant des faits de négligence affluent dans les médias. Jeudi 17 mai, le parquet de Saint-Etienne a ouvert une enquête pour "non-assistance à personne en danger et homicide involontaire", après le décès d'une femme de 38 ans, enceinte de 6 mois, non prise en charge par le Samu neuf jours auparavant. Victime d'un malaise le 28 février, son mari appelle les secours. L'opérateur lui conseille d'appeler SOS Médecin, ce qu'il fait. Mais lorsque le médecin intervient deux heures plus tard, la mère de famille est en détresse cardiaque. Il pratique alors un massage cardiaque et appelle à son tour le Samu. La jeune femme est placée en coma artificiel, mais ni son bébé, ni elle, ne survivent. Le procureur adjoint de la République de Saint-Etienne, André Merle, a "saisi la police judiciaire d'une enquête préliminaire".
Le Samu refuse de se déplacer
Début février, en pleine nuit, une fillette de 3 ans en grande détresse respiratoire et neurologique a été amenée par sa mère à l’hôpital d’Aix-les-Bains. Contaminée par la grippe, la petite Lissana n'a pu être réanimée. Sa famille a affirmé avoir appelé le Samu en voyant l'état de la petite fille se dégrader. Mais les secours auraient refusé de se déplacer, obligeant la mère à emmener elle-même sa fille à l'hôpital. Pourtant, la fillette avait 3 ans et plus de 40°C de fièvre depuis le dimanche 28 janvier, date à laquelle le diagnostique de grippe avait été posé par un médecin.
La persistance de la fièvre pendant 2 jours et l'apparition progressive d'une gène respiratoire croissante, très inhabituelle dans la grippe hivernale, auraient du alerter les médecins du Samu, en particulier avec les antécédents de bronchiolite qu'avait la fillette. Tous les signes de gravité d'une grippe inhabituelle étaient présents pour déclencher une intervention du Samu et une hospitalisation immédiate en réanimation pédiatrique.
Amputé après une prise en charge tardive des secours
Ces drames rappellent également celui vécu par Thomas Veyret (21 ans), amputé après une prise en charge tardive du Samu en 2017. "C’était le même discours odieux et surtout aucune empathie pour la personne, aucune considération de son état", se souvient le jeune homme après avoir entendu l'enregistrement de l'appel passé par Naomi Musenga au Samu.
A l'époque, Thomas exécute des figures sur un trampoline sur son lieu de travail, à Grenoble et retombe mal. Il appelle alors le Samu et explique à l'opérateur que sa jambe est "à l'équerre", donc fracturée. L'opérateur lui demande de la redresser lui même : "Attendez je vais doucement parce que là...", explique le jeune homme. Et son interlocuteur de lui répondre : "Allez doucement mais là j’attends depuis un moment". Ce mauvais geste et sa prise en charge tardive empêchent l'oxygénation de sa jambe pendant plusieurs heures.
Comme le souligne BFMTV, Thomas a en effet dû attendre 7 heures avant de passer l'angioscanner, un examen permettant de visualiser les artères et vaisseaux sanguins responsables de l'irrigation du corps en oxygène. "La situation est commune entre l’affaire qui concerne mon client et cette jeune femme décédée, Naomi, à savoir que c’est ce manque d’écoute qui cause l’erreur médicale", a déclaré Me Edouard Bourgin, l'avocat de la famille Veyret.